Un principe important de la vie spirituelle !
Petite présentation sans prétention de la « sainte indifférence » chez saint Ignace de Loyola… Un saint qui nous apprend certains principes importants de la vie spirituelle, dans la conduite de notre vie à la suite de Jésus, par son Esprit.
Pour commencer, voici un court extrait du livre Exercices spirituels à propos de la sainte indifférence :
Principe et fondement
L’homme est créé pour louer, honorer et servir Dieu, notre Seigneur, et, par ce moyen, sauver son âme. Et les autres choses qui sont sur la terre sont créées à cause de l’homme et pour l’aider dans la poursuite de la fin que Dieu lui a marquée en le créant. D’où il suit qu’il doit en faire usage autant qu’elles le conduisent vers sa fin, et qu’il doit s’en dégager autant qu’elles l’en détournent.
Pour cela, il est nécessaire de nous rendre indifférents à l’égard de tous les objets créés, en tout ce qui est laissé au choix de notre libre arbitre et ne lui est pas défendu; en sorte que, de notre côté, nous ne voulions pas plus la santé que la maladie, les richesses que la pauvreté, l’honneur que le mépris, une longue vie qu’une vie courte, et ainsi de tout le reste; désirant et choisissant uniquement ce qui nous conduit plus sûrement à la fin pour laquelle nous sommes créés.
Le langage de saint Ignace n’est pas des plus faciles, pour nous aujourd’hui. Le texte des Exercices est aussi très concis. Il faut donc déployer son contenu et parfois, l’interpréter avec nos données actuelles… Je donne ici quelques indications pour aider à comprendre ce qui vient d’être dit et qui serait grandement à approfondir par ailleurs…
Tout d’abord, il est important de dire que la « sainte indifférence » ne doit pas être prise comme une valeur suprême : ce n’est pas un but en soi de devenir indifférent, dans une sorte d’état d’âme « décroché », sans désir, sans passion ! Cette sorte d’indifférence est contre-nature puisque, foncièrement, l’être humain aspire de tout son être à être heureux, saint, et cela est bon : il est fait pour aimer ! Par surcroît, il est fait pour aimer de l’Amour même de Dieu et de ce fait, il aspire de toute son âme à être uni à Dieu et à aimer toute chose en Dieu.
Le dessein de Dieu sur l’être humain est commun pour tous : le chemin de sainteté, qui est d’apprendre à aimer comme Dieu, qui est venu parmi nous en Jésus, pour nous le montrer… Mais il y a aussi la conduite spéciale de Dieu sur chacun et chacune de nous, qui est unique… Le chemin emprunté par une personne n’est pas le même pour tous ! On a qu’à regarder l’histoire des saints et saintes : tous sont un reflet du Cœur de Jésus, mais chacun et chacune est totalement unique. Cela fait que certains ont été solitaires, d’autres en communauté; les uns ont été rois et d’autres mendiants, etc. Chaque personne est unique et a sa mission.
Il ne s’agit donc pas d’être indifférents à l’égard du but de notre vie, mais plutôt à l’égard des moyens particuliers pour qu’elle soit réussie, selon les pensées de Dieu. Or Dieu nous laisse toujours libres de le choisir et de l’aimer.
Bien que l’être humain aspire foncièrement à l’Amour, il peut malheureusement y manquer par ses choix. Seul l’être humain ici-bas est créé libre de choisir; il n’est pas mû par ses instincts seulement (comme les animaux). Dieu ne force personne à aimer ! L’amour est libre ou il n’est pas. Seul l’être humain peut aimer réellement : choisir le bien pour lui-même. Comme le dit saint Ignace : « L’homme est créé pour louer, honorer et servir Dieu, notre Seigneur, et, par ce moyen, sauver son âme ». Tout doit être ordonné à cette fin pour laquelle il est fait, et vers lequel il tend et contribue par ses libres choix. Ainsi, les désirs et les passions que l’on éprouve sont à ordonner et non à éliminer (sauf lorsque malsains). C’est du fait que l’être humain est un être libre de choisir. Mais que cette liberté n’est pas si facile à exercer !
C’est pourquoi saint Ignace insiste pour dire qu’« il est nécessaire de nous rendre indifférents à l’égard de tous les objets créés, en tout ce qui est laissé au choix de notre libre arbitre et ne lui est pas défendu ». Petites précisions utiles ici à partir de ce qui vient d’être dit : cela concerne « tout ce qui est laissé au choix de notre libre-arbitre » donc, on n’aspire pas à des choix qui sont totalement hors de notre portée; d’autre part, ces choix ne concernent pas ce qui est foncièrement mauvais. La sainte indifférence chez saint Ignace de Loyola est une disposition à l’égard des « choses créées », donc envers toute réalité qui n’est pas Dieu, Lui, le Créateur. Ce peuvent donc être de bonnes choses ! Mais le but est de discerner quels sont les biens qui nous conduisent vers la fin pour laquelle nous sommes créés : « D’où il suit qu’il doit en faire usage autant qu’elles le conduisent vers sa fin, et qu’il doit s’en dégager autant qu’elles l’en détournent ».
Aussi, l’indifférence ignatienne suppose-t-elle le développement d’une certaine maturité affective. Voici l’extrait d’un article sur ce point[1] :
Pour prendre une bonne décision, l’individu doit avoir une certaine maturité affective. Qu’est-ce que cela veut dire ? […] Si je veux prendre une bonne décision pour ma vie, je dois trouver le juste équilibre dans la tension dont nous avons parlé précédemment et mûrir dans ma façon d’affronter toutes les forces qui sont en moi.
Autrement dit, d’une part je dois être autant que possible en contact avec mes émotions pour les sentir, en avoir conscience et savoir ce qui me pousse. De l’autre, je dois pouvoir prendre mes distances vis-à-vis d’elles en disant : « D’accord, j’aurais envie de faire ceci ou cela maintenant, mais il y a d’autres aspects à prendre en compte ». La maturité affective est la capacité de sentir ses émotions et de vivre avec elles, tout en sachant les maîtriser et renoncer aux désirs de ces émotions.
À ce propos, il est intéressant de rappeler le titre qu’Ignace a donné aux Exercices spirituels : « Exercices spirituels pour se vaincre soi-même et ordonner sa vie sans se décider par quelque attachement qui serait désordonné » (ES 21).
Pour Ignace, les émotions qui m’animent et qui ne sont pas en accord avec le but général de ma vie sont des attachements désordonnés. Il veut que, dans son processus de prise de décision, l’exercitant[2] entre en contact avec ses émotions, tout en étant capable de les maîtriser efficacement, au point de parvenir à l’indifférence, si importante pour pouvoir entendre l’appel de Dieu. Un concept que l’on trouve dans les livres, mais qui a quasiment disparu de notre vie spirituelle, est celui de la mortification. […] La mortification est la capacité de garder une certaine distance vis-à-vis des émotions fortes et des passions.
Ainsi, on acquiert une certaine force intérieure qui nous donne de pouvoir choisir ce qui est réellement bon et non pas seulement ce vers quoi on se sent fortement attiré, affectivement. Cette distance par rapport aux mouvements parfois impulsifs de l’affectivité permet d’être davantage en contact avec notre être profond, qui aspire vers Dieu et veut suivre Jésus pour vivre avec Lui.
Dieu veut notre bonheur et notre sainteté, mais parfois cela ne passe pas par les chemins que nous aurions nous-mêmes prévus… C’est pourquoi « il est nécessaire de nous rendre indifférents à l’égard de tous les objets créés », en faisant confiance que Dieu nous guide en toute circonstance. Les exemples donnés par saint Ignace sont assez radicaux : « en sorte que, de notre côté, nous ne voulions pas plus la santé que la maladie, les richesses que la pauvreté, l’honneur que le mépris, une longue vie qu’une vie courte, et ainsi de tout le reste ». Comprenons bien : nous devons, par exemple, aspirer à la santé et tout faire ce qui est en notre pouvoir pour l’être ! Mais il arrive que la maladie frappe sans que l’on puisse maîtriser toutes ses conséquences… C’est ainsi que saint Ignace nous apprend à accepter sereinement l’une ou l’autre condition.
Il ne s’agit pas d’être indifférent (au sens « décroché ») à l’égard de tout, mais de devenir plus libre intérieurement face aux aléas de notre vie, face au jugement que nous portons sur des situations et qui viennent en contradiction avec certains désirs, pour tout ordonner selon les pensées de Dieu. En bout de course, l’attitude fondamentale est la confiance en Dieu, au-delà de tout ce qu’il nous appartient d’accomplir. « Nous le savons, quand les hommes aiment Dieu, lui-même fait tout contribuer à leur bien, puisqu’ils sont appelés selon le dessein de son amour. » (Romains, 8, 28) Amen !
Marie-Sol Gauvin-Vermette, Communauté de l’Amen
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[1] Franz Meures, S.J., Recteur Pontificio Collegio Germanico-Ungarico, Rome, Italie, « La dimension affective du discernement et de la prise de décision », NUMERO 117 – Revue de Spiritualité Ignatienne, p. 63-81.
[2] La personne qui fait les Exercices…
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