« Il n’y a pas de saint sans passé, et il n’y a pas de pécheur sans avenir » (pape François)

« […] il n’y a pas de saint sans passé, et il n’y a pas de pécheur sans avenir […]. l’Église n’est pas une communauté de parfaits, mais de disciples en chemin qui suivent le Seigneur parce qu’ils se reconnaissent pécheurs et ont besoin de son pardon[1] ».

C’est ainsi que notre bon pape François nous rappelle une vérité valable pour tous les membres de l’Église au sein de l’ensemble de son pèlerinage terrestre (toutes les époques).

Mon petit commentaire analytique…

D’abord, le pape François met en relief l’irréductible réalité du cheminement chrétien marqué par la progressivité.

Une autre expression consacrée utilisée par l’Église pour désigner cette même réalité, particulièrement depuis saint Jean-Paul II : la « loi [pastorale] de la gradualité »[2].

Avant d’aller plus loin, afin d’éviter une possible méprise, il sera utile d’établir le cadre interprétatif de ce concept‑clé tout juste ci-haut mentionné : « […] la loi de la gradualité n’est pas la gradualité de la loi » comme s'il y avait, dans la loi divine, des degrés et des formes de préceptes différents selon les personnes et les situations diverses[3]… Le but à atteindre ne change pas : l’« horizon mobilisateur » demeure le même pour toutes et tous (cf. Loi Divine). Cela ne change pas, ne changera jamais[4] ! Jamais l’appel et ses exigences ne doivent être « diminués » (banalisés). Nous sommes appelés à être (et à retrouver de plus en plus) « l’Image et la Ressemblance de Dieu ». Relative à nos propres zones de confort, nous ne devons pas nous fabriquer notre propre « idole » en faisant de Dieu un dieu à « notre image et à notre ressemblance »… Attention de ne pas agir et voir les choses selon notre propre état pécheur (qui obscurcit la vue), notre résistance à la conversion, selon nos petits goûts, notre petite vision laxiste des exigences morales (au nom de « l’amour rose-bonbon » de Dieu) – versus les exigences morales objectives qui découlent pourtant de l’authentique appel à l’Amour. Nous sommes appelés à un déplacement continuel : « du mal au bien » et « du bien au meilleur »…

Une fois établie cette mise en garde, ce qui doit continuer à être ici considéré, en notre propos, c’est le temps que représente le nécessaire cheminement-pèlerinage pour s’approcher toujours davantage de cet horizon de « perfection »[5]. Dès lors, quelle que soit la rythmicité de la marche, le (la) disciple du Christ s’engage, déjà activement au présent, à toujours aller de l’avant, orienté vers sa finalité bienheureuse, celle à laquelle il (elle) est appelé(e) : la sainteté ! Ultimement, au Ciel, il n’y a que des saint-e-s[6] !

Par cette phrase légendaire du bon pape François (citée d’emblée), nous sommes aussi conséquemment (implicitement) mis en garde contre la tentation pharisienne que représente notre jugement condamnateur du prochain, conduisant à un verdict définitif, sans appel… En mes propres mots : il s’agit là de faire attention au « flash photo », à l’« étiquetage ». Cette attitude pharisienne consiste en effet à prendre une photo, un cliché, à un moment bien précis (figé dans le temps), selon un angle de vue partiel souvent limité, avec un appareil qui n’est pas toujours au point, bien ajusté (il y a donc aussi le danger d’une interprétation subjectiviste). À partir de la photo prise, une personne devient jugée selon un caractère « définitif ». Sans même traiter des dangers d’une photo non représentative de la vérité (réalité), il y a ici le danger – pour le « photographe » (un juge sévère) – de « réduire » et d’« enfermer » pour toujours l’autre en ce cliché condamnateur. Même lorsqu’une photo est représentative de la réalité – une réalité moins reluisante à un certain moment de l’itinéraire d’une personne, pour un élément ou l’autre – cela ne devrait jamais se traduire par un verdict condamnateur réducteur, final et sans appel ! Une personne, ça peut changer ! C’est appelé à changer !

En somme, notre bon pape François met donc en relief la nécessité de ne pas « enfermer » un pécheur en son péché, en son passé… Autrement, un saint Paul (ou un saint Augustin par exemple) n’auraient jamais eu la possibilité d’avoir un avenir ecclésial fécond, rayonnant de sainteté…

Ensuite, le pape François met en relief un passage obligé pour [tous] les disciples du Christ : la reconnaissance de notre état pécheur, de notre besoin de pardon (salut). Si le « photographe » se reconnaît lui-même pécheur, en cheminement, il sera peut-être plus miséricordieux envers les autres. Ici, est vraiment appropriée l’exhortation de Notre Seigneur : « Qu'as-tu à regarder la paille qui est dans l'œil de ton frère ? Et la poutre qui est dans ton œil à toi, tu ne la remarques pas ! Ou bien comment vas-tu dire à ton frère : Laisse-moi ôter la paille de ton œil, et voilà que la poutre est dans ton œil ! Hypocrite, ôte d'abord la poutre de ton œil, et alors tu verras clair pour ôter la paille de l'œil de ton frère. » (Matthieu 7, 3-5 ; cf. Luc 6, 41-42).

À divers degrés certes, mais nous sommes toutes et tous pécheurs ! Toutes et tous pécheurs appelés à la continuelle conversion, à la sainteté !

À notre époque, spécialement au Québec (ailleurs aussi), ce ne sont pas tous les fidèles qui ont eu une vie passée exempte d’errance dans une vie mondaine, avec ses fautes et ses erreurs… Par notre attitude parfois – trop souvent – condamnatrice et sans appel (avec un caractère définitif), allons-nous empêcher le témoignage de futurs saint-e‑s ? Donnerons-nous la possibilité à un « Saul » de devenir un « saint Paul » ?

Poursuivons la réflexion un peu plus… L’Église est Sainte[7]. Depuis deux mille ans, l’Église, en ses membres, ne cesse pourtant pas de vivre le même appel à la féconde et rayonnante sainteté (singulière pour chacun-e). Il y a donc un enjeu qui sans cesse se répète (recommence) : tout un chacun-e des fidèles n’a que le très court temps de sa vie terrestre pour cheminer en sainteté. Le témoignage de sainteté des membres de l’Église – chacun-e – est une réalité qui n’est pas déjà acquise une fois pour toute (ou encore qui résulterait du cumul des deux mille ans de l’Église). C’est un appel nouveau à chaque fois, pour chaque personne, à chaque époque… Dans l’Église, le reflet de sainteté, par ses membres, est un enjeu qui doit être toujours entendu comme un appel. C’est un continuum incessant… Le témoignage actuel – de chaque instant – relatif à la sainteté dépend donc de chacun‑e des membres du Peuple de Dieu. Bref, à chacun-e de nous ces questions : veux-tu décidément contribuer au témoignage de sainteté de l’Église en ses membres, à la présente époque ? Que fais-tu de ta responsabilité ? Quel que soit ton passé en tant qu’être pécheur, tu es appelé à un avenir : la sainteté !

Finalement, en guise de conclusion, au regard de l’appel à la sainteté de toutes et tous, il semble indiqué de proposer un élément de réflexion supplémentaire…

Lorsque l’on parle de « conversion pastorale » (missionnaire) en notre Église (universelle et locale), je me dis que cela sera seulement possible à condition que l’on soit d’emblée décidé à la conversion personnelle, d’où une réforme intérieure de l’Église (en ses membres)…

« Mondain », on ne peut évangéliser que de manière « mondaine »… Offrir de l’« esprit du monde »… Un témoignage « mondain », ce n’est pas ça qui va porter beaucoup de fruits de Dieu ! L’« agir missionnaire », s’il se veut fécond, doit être un rejaillissement de l’« être » (une réalité vécue). Si l’« être » n’est pas assez « rempli de Dieu », alors la mission (agir) ne sera pas le reflet de Lui. En bref, si j’accepte la réelle, profonde et continuelle conversion personnelle, oui, là, le feu de l’Esprit se répandra autour de moi ; c’est alors que je deviens missionnaire à la manière de Dieu, selon Dieu, à partir de Dieu. Sans la nécessaire conversion personnelle, le tournant « missionnaire » peut en rester au stade d’entreprise humano-humaine… Puissions-nous entrer dans l’authentique mystique apostolique ! Unis au Christ, laissons-nous transformer par Lui ! Ainsi, c'est Lui qui agira par nous... 

Par Jean-René Duchesneau, Communauté de l’Amen

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[1]     Pape François, Audience Générale, 13 avril 2016 [http://www.la-croix.com/Urbi-et-Orbi/Vatican/Il-saint-sans-passe-pecheur-sans-avenir-declare-pape-2016-04-13-1200753172], page consultée le 16 juillet 2017. (Cf. Pape François, Homélie, Messe du mardi, 19 janvier 2016 [http://fr.radiovaticana.va/news/2016/01/19/pape_fran%C3%A7ois__%C2%ABil_ny_a_pas_de_saint_sans_pass%C3%A9,_ni_de_p% C3%A9cheur_sans_futur%C2%BB/1202116], page consultée le 16 juillet 2017). (Cf. Pape François dans son message aux jeunes du monde entier, à l’occasion de la 32e Journée mondiale de la jeunesse, 27 février 2017 [https://fr.zenit.org/articles/jmj-2017-les-jeunes-sont-capables-dactions-vraiment-grandioses-message-integral/], page consultée le 16 juillet 2017).

[2]     Ce principe a été abordé lors du synode sur la famille en 1980 et a ensuite été développé dans l’Exhortation apostolique Familiaris Consortio en 1981. Bien que le sujet ait été traité en un contexte disciplinaire particulier, il est applicable en bien d’autres domaines...

[3]     Cf. Pape Jean-Paul II, Exhortation Apostolique Familiaris Consortio, n° 34.

[4]     « Le ciel et la terre passeront, mais mes paroles ne passeront point. » (Mathieu 24, 35 ; cf. Mc 13, 31 ; cf. Lc 21, 33)

[5]     « Soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait » (Matthieu 5, 48).

[6]     Selon l’enseignement de l’Église Catholique, si le pèlerinage terrestre de sanctification ici-bas n’a pas été suffisant, le Purgatoire est alors l’autre moyen miséricordieux de Dieu pour nous faire parvenir à la sainteté… Exprimé en d’autres mots, le père Réginald Garrigou-Lagrange disait que ce qui n’aura pas été atteint par mérite ici-bas (incluant notre nécessaire collaboration active au sein de notre propre sanctification) devra être alors atteint au Purgatoire, par la grâce mystérieuse de Dieu (Cf. Garrigou-Lagrange, Réginald Fr., « L’union transformante prélude de celle du ciel », Les trois âges de la vie intérieure, Tome II, partie 4, chapitre XIX).

[7]     Cf. Catéchisme de l’Église Catholique, n° 823-829.

 

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